Comment délaïciser la laïcité ? » la question posée par une maman au synode de l’Eglise protestante de Kanaky – Nouvelle-Calédonie (EPKNC) peut prêter à sourire mais elle souligne malgré tout une problématique centrale, qui a été évoquée de manière moins caricaturale par le pasteur Rognon : « Peut-on formuler nous-même notre propre conception de la laïcité calédonienne ? »

A quelques mois de l’échéance du 4 novembre, l’enjeu est fondamental car le FLNKS a déjà acté dans son projet de société future, l’idée d’un Etat laïc. Toutefois, la notion est complexe et comme l’a si justement souligné l’ancien professeur de philosophie de Do Kamo, elle recouvre plusieurs définitions et plusieurs réalités possibles.

La laïcité  (Du grec ancien « laikos », peuple), c’est la conception et l’organisation de la société fondée sur la séparation de l’Église et de l’État et qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement. Le principe de la laïcité de l’État est posé par l’article 1er de la Constitution française de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

La question reste d’actualité, rappelez-vous l’affaire du « foulard islamique » qui nécessita deux avis du Conseil d’Etat en 1989 et 1992. Beaucoup plus récemment, celle de l’Affaire Baby Loup en 2008 : la crèche du même nom où  une éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe, employée depuis 1992, a été licenciée pour faute grave aux motifs notamment qu’elle avait contrevenu aux dispositions du règlement intérieur de l’association en portant un voile islamique.

La Laïcité, un principe matriciel

Laïcité ouverte ou laïcité de combat, Le concept est loin d’être neutre et son emploi fracture la société française.

Perçue pour certains comme une atteinte dissimulée au droit de religion, pour d’autres comme un espace garantissant la liberté religieuse ; le débat sur la laïcité reste ouvert et il s’invite désormais sur tous les espaces qu’ils soient publics (Charte de la laïcité à l’école en 2013) ou privés (loi Travail 1er Bis A  pour la laïcité dans l’entreprise).

Toutefois, ce n’est pas vraiment le propos qui nous intéresse. Il s’agit d’abord de comprendre si ce principe matriciel peut s’exporter sur notre futur projet de société et quelles conséquences cela implique-t-il ?

Il est important d’être précis : La laïcité est un prisme « convenu » du rapport entre l’Eglise, la société et les institutions. Sommes-nous nous aussi dans ce rapport dans nos sociétés ?

D’autres nations n’ont pas choisi ce modèle comme l’Allemagne. Il faut donc voir ce principe comme une clé qui appréhende et structure les rapports entre l’Eglise, l’Etat et la société. De même la laïcité irrigue les notions majeures que sont l’Etat, le modèle républicain et ses valeurs, les libertés publiques et les droits de l’homme, le service public et la fonction publique, la citoyenneté et l’école. Elle est  le fondement d’une dynamique (à marche forcée)  de sécularisation de la société française. Dynamique qui ne s’est pas fait sans heurts puisqu’il y a eu une vraie volonté de « purger » l’espace public de la prédominance de l’Eglise principalement catholique car elle était effectivement partout : dans l’école, le social, la santé, etc.

La laïcité, c’est donc un modèle de société. Est-ce le modèle que l’on souhaite pour une société du Destin Commun ?

Elle véhicule un ordre social  imaginaire et un ensemble de valeurs qui sont autant de balises qui construisent et  structurent notre rapport au monde et à la société : un rapport qui relègue le sacré au placard de la vie privée alors que nous sommes culturellement  des êtres qui traversons et partageons en commun des espaces « magiques » de paroles et de rituels qu’ils soient religieux ou culturels.

Un principe à réinterroger

Les mots ont un sens, il s’agit de bien cerner ce que cela implique. Derrière le mot, il y a le package qui accompagne (dans le langage des agences de voyages). Est-ce bien la destination que nous souhaitons pour Air kanaky-NC ?

Avant de nous prononcer, posons-nous les bonnes questions :

  • Ce principe est-il un frein ou un facilitateur « idéologique » à l’idée d’une école plurielle calédonienne ?
  • Ce principe est-il un frein ou un facilitateur « idéologique » à une légitimité institutionnelle de l’Eglise alors qu’elle joue déjà un rôle social, politique [au sens noble du terme], de régulation et de médiation (mais qu’elle n’intervient principalement que sous forme associative, comme toutes ses composantes d’ailleurs, l’ASEE…)
  • Que véhicule la laïcité dans ses modèles de réussite éducative ? Est-ce conforme à nos modèles de réussite éducative ? Quelles sont les valeurs éducatives d’une société dite laïque ? Peut-on réellement former un Do Kamo dans une société laïque ?
  • Certes, il y a une forme de plasticité de la notion (plusieurs définitions et des aménagements tolérées dans certains espaces du territoire national : Mayotte, l’Alsace et la Lorraine, Wallis et Futuna). Mais il n’en reste pas moins qu’elle continue à cantonner les églises à la marge des affaires publiques. Pourquoi ? Quelle est donc la véritable nature des rapports entre les différentes églises et l’Etat ? Entente cordiale ou tolérance méfiante institutionnalisée ?

Un modèle de société en crise

La laïcité, c’est aussi le résultat d’un processus de maturation d’un modèle de société dont on peut légitimement se poser la question de la pertinence au vu des « fractures » que nous observons aujourd’hui dans la société française :

  • Fragilité du lien social et tentation du repli
  • Crise de défiance du politique et de l’Etat
  • Crise de l’école
  • Montée du communautarisme radical

Sociologiquement, si ce modèle de société a effectivement  permis de faire évoluer l’homme comme un individu libre et autonome de ses choix, nous en observons aujourd’hui un peu les limites en Occident :

  • une société individualiste et parfois narcissique (Selfie et Facebook)
  • le primat de « l’Ordre Economique » avec sa vision instrumentale du rapport à l’autre
  • une société ou les libertés entrent en conflit (la GPA, l’euthanasie…)
  • la tyrannie de la société de l’hyperconsommation et des médias

Le débat est crucial car nous sommes à la croisée des chemins. Au niveau du pays, un nouveau projet de société est en phase de construction (quelle que soit l’issue de l’échéance du 4 novembre). Comme l’indique la thématique du Synode de l’EPKNC, nous sommes appelés à devenir des « concitoyens d’un pays nouveau » mais il s’agit de ne pas « diluer notre identité dans une pseudo-citoyenneté » (comme le dit si justement le grand chef et sénateur coutumier Pascalëdi) qui véhiculerait une culture « hors-sol » (loin de notre cosmogonie du lien à la terre) et d’une culture « hors-ciel » (en contradiction avec le message d’espérance de l’Evangile).

La légitimité institutionnelle de l’EPKNC pour une société du Destin Commun en Christ

Le futur Do Kamo pour s’affirmer et évoluer dans un monde en pleine mutation, doit se construire dans une société (son Do Neva) qui prenne en compte son  « écosystème » culturel et spirituel, c’est vital pour nos petites sociétés insulaires océaniennes face au rouleau compresseur de la Mondialisation !

Entendons-nous bien, ce n’est pas un réquisitoire contre la laïcité et ce n’est pas non plus du prosélytisme ou de l’ethnocentrisme mais il s’agit de redéfinir notre propre laïcité pour qu’elle corresponde à  nos réalités océaniennes et insulaires.

Dans ce pays nouveau ou Do Neva, je veux continuer à entendre la voix de Dieu dans les chants des Taperas de nos vieux de la merveilleuse tribu de Bopope ou déceler dans le bruissement des feuilles du grand banian la présence de mon animal totem… Mais je veux également une société plus juste et plus performante qui soit  capable de répondre efficacement aux problématiques de notre temps.

Sans doute, pourrait-on changer le mot « laïcité »? Comme l’a suggéré Mme Eurisouké, La ministre en charge de la santé, car il évoque une « autre » histoire (sociale et politique) des rapports de l’Eglise, de l’Etat et de la société.

Dans la devise républicaine, seule la Fraternité ne peut se décréter par ordonnance ou par  la loi… Il faut la vivre voire l’entretenir… L’EPKNC et les églises en général ont  cette expertise… C’est une Fraternité en Christ pour tous les Do Kamo (comme l’a indiqué le nouveau président de l’EPKNC, Pasteur Var Kaemo) : les croyants, les non-croyants et les membres de toutes les communautés… pour dépasser les clivages.

Il est temps pour les institutions du territoire de reconnaître la légitimité de l’EPKNC dans ses missions de service public (l’éducation, le social, la jeunesse).

« Une société ne peut progresser en complexité que si elle progresse en solidarité» (Edgar Morin)